Le glouton
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Le glouton
A. K. Blakemore
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Françoise Adelstain
C’est l’histoire de Tarare, c’est son histoire, qu’il raconte, attaché à un lit d’hôpital, à soeur Perpétue, qui le veille. Nous sommes en 1793, et nous remontons dans son récit quelques années plus tôt pour découvrir son enfance, de fils bâtard d’une fille pauvre, quelque part dans le Sud de la France. Grand garçon naïf, voire simple, sensible et émotif, souvent moqué pour cela, il devra quitter le bourg dans des circonstances tragiques pour lui, et déterminantes. Car depuis, Tarare a faim. Une faim inextinguible, immense, maladive, qui le fera devenir monstre de foire, freaks avant l’heure, et qui pour son malheur devient le seul moteur de sa courte vie. Pour assouvir cette faim, Tarare peut tout avaler : âmes trop sensibles s’abstenir, certaines scènes sont dégoûtantes, d’autres terribles.
Roman historique, fable inspirée d’un personnage réel, Le glouton est un très beau roman, qui n’est pas sans rappeler Le parfum de Süskind, ou les romans de Folco. Le décor est superbement planté par l’autrice, qui décrit avec talent la France à l’aube de la Révolution française. Elle le fait dans un style brillant, qui colle à la peau d’un personnage avec lequel le lecteur ne pourra qu’éprouver de l’empathie, malgré le dégoût. C’est un roman généreux, et souvent drôle, car Blakemore s’en donne à coeur joie dans la satire; et ce n’est pas avec Tarare qu’elle se montre la plus cruelle.
extrait :
« Puis [la femme de ménage] ouvre la porte de la réserve, et voici ce qu’elle voit : un garçon au visage crasseux (…) lové sur le côté, son pantalon baissé aux chevilles et la main tendue vers un plat de pâté vide. (…) Par-dessus la ceinture de sa culotte rayée son ventre déborde, rond et grassouillet comme celui d’un bébé gavé. Gonflé d’une façon anormale pour son corps juvénile. Le sol est couvert des détritus d’une fête : miettes de pâtisseries, flaques de lait, trognons de pommes et marc de café, porcelaine brisée. Et tout le contenu – un été de travil de cuisine – a disparu. Les cornichons, les crèmes et le lait caillé, les salaisons, les poires talées et les fromages persillés. Même les tripes, même les pieds de cochons destinés aux chiens du maître. Le garçon respire, lentement, profondément et uniformément. Le garçon dort, gorgé. »
Ed. Globe, 2025, 24€, 384 pages
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